Réveillez le président !

Dans les profondeurs du Pentagone, là où seuls les personnels dûment accrédités ont accès, le général Jake Dorlington et son vieil ami le général Sam Hackerman tiennent conciliabule. Ils ne sont pas en train d'évoquer la situation en Iran, pas plus que l'Afghanistan, même pas l'Irak ni Al-Qaeda. Non, ils parlent de la France et sont très perplexes. Le système d'écoutes Echelon leur a transmis des informations stupéfiantes : la France est actuellement sur le pied de guerre. L'alerte Rouge - celle qui met le pays en position de recourir à la dissuasion nucléaire - a été lancée. Les Français sont-ils sous le coup d'une menace grave ? Se prépareraient-ils à lancer une attaque ? Devant des scénarios aussi improbables qu'inquiétants, les huiles du Pentagone se demandent s'il faut réveiller le Président des Etats-Unis.De l'autre côté de l'Atlantique, la ministre de la Défense française a déjà été réveillée sans ménagement par son chef de cabinet. Elle aussi est restée médusée par ce qu'il lui a annoncé : les forces aériennes et maritimes ont été mises en alerte nucléaire et le président de la République, alias "Vega" (son nom de code pour toutes les questions de défense) est aux abonnés absents ! Le PC central des opérations situé à Taverny ne répond plus ; comme le prévoit la procédure en pareil cas, il est devenu un bunker inexpugnable.Au milieu de cet invraisemblable chaos, la ministre a quand même une certitude : la France n'est en conflit avec personne. Alors, que s'est-il passé ? Une bouffée délirante du chef suprême qui aurait déclenché le dispositif d'alerte ? Un virus dans le système informatique ? Et comment les diplomates du quai d'Orsay vont-ils pouvoir expliquer la situation au reste du monde ?Passé les premiers instants d'incrédulité, c'est la panique ; le président a été hospitalisé au Val-de-Grâce suite à un accident vasculaire cérébral, et lui seul connaît les codes d'accès au réseau informatique qui commande la force de dissuasion. En fait le président du Sénat les connaît aussi - la Constitution a prévu l'incapacité du chef de l'Etat - mais le système refuse de lui obéir et reste bloqué. Les spécialistes en informatique du ministère de la Défense sont sur les dents, mais ne progressent pas d'un iota. Il n'y a plus qu'un seul recours en attendant l'hypothétique sortie du coma de "Vega" : appeler à la rescousse deux informaticiennes de choc. Marie-Reine de Beauchâtel qui a conçu le système de commande et Caroline Laverda , qui aurait pu faire fortune de façon malhonnête tant elle excelle à casser les codes en tout genre...La situation ubuesque imaginée par Jean-Hugues Oppel a en fait des accents de plausibilité troublants, à la lumière des petites vignettes historiques qui ponctuent le roman, et que l'auteur, avec la verve caustique qui le caractérise, a intitulées "Boum !" Les boums sont heureusement des quasi-boums, mais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la catastrophe nucléaire a été évitée de justesse et ce, plus souvent qu'on ne l'imagine : paranoïa entre les superpuissances, dysfonctionnements techniques, mauvaise transmission de l'information, interprétation erronée des données, le sort de la planète semble s'être joué à peu de chose.Entre L'Apprenti sorcier et Docteur Folamour, ce roman nous rappelle utilement - en ces temps où la possession de l'arme nucléaire par certains pays occupe le devant de la scène internationale - que "l'être humain est la seule espèce vivante de la planète à avoir conçu, développé et amélioré le moyen artificiel de sa propre destruction." Si on le lit évidemment comme un thriller au style ultra efficace dont on tourne les pages avec avidité, Réveillez le président ! est aussi une fable qui suscite la réflexion. Dans la grande tradition des auteurs américains de politique fiction.